Entrons dans le vif du sujet... Voilà le premier chapitre des
Fedeylins. (edit : ceci est la V8)
Tome 1 : Fedeylin du bord du Monde, Livre I : L'eau.
1. Eclosion
« Au commencement, l’eau recouvrait tout.
Taranys, dieu du jour, dormait sous la surface du Monde.
Dans le ciel dansait Savironah, déesse de la nuit.
Lorsque Taranys s’éveilla et vit Savironah danser, son cœur rayonna d’amour.
Alors Taranys s’éleva hors de l’eau et repoussa les mers pour créer la terre ferme où son aimée pourrait se poser.
Leur union rendit le Monde fertile mais la nuit éternelle l’enveloppait encore.
Taranys prit son amour entre ses paumes et façonna le Dor. Le dieu plaça cette sphère lumineuse dans le ciel et sa chaleur se diffusa autour du Vaste Monde.
Le Dor brillera tant que brûlera l’amour de Taranys pour Savironah.
(…)
Et Taranys créa les fedeylins. Il leur offrit la connaissance pour bâtir et récolter. Puis Savironah se pencha sur ce nouveau peuple et lui donna la sagesse. Grâce à elle, les fedeylins purent créer et transmettre.
Alors le couple divin se retira et la vie suivit son chemin. »
Extraits du Heilyk.
**
Ma bulle. Douce chaleur. Lumière diffuse. Bien-être.
Je n’aurais jamais pensé revivre cette sensation, pourtant me revoilà flottant dans les limbes.
Comme j’aimerais retrouver la quiétude de mes premiers mois et l’insouciance d’alors… Je n’étais qu’un petit parmi les trois mille fécondés sur le nénuphar de ponte. Un larveylin à peine formé.
Je roulais sur moi-même pour suivre la progression du Dor.
Aujourd’hui, la lumière ne filtre plus à travers la membrane du cocon qui m’emprisonne. Les repères me manquent.
La brume du souvenir m’enveloppe et s’insinue dans les moindres replis de ma peau. Je me laisse aller. Je m’oublie et retourne au passé.
Pour comprendre.
Quel bonheur ces cinq années à grandir sans inquiétude ! J’appartenais encore à une génération porteuse d’espoir pour mon peuple.
Avec les silhouettes des migrateurs et leurs terribles cris, un danger permanent planait mais je n’avais pas peur. Mon instinct m’assurait que ce n’était que le début d’une aventure plus grande. Après tout, les Pères Fondateurs veillaient sur nous.
Mon corps imparfait évoluait lentement. Ma conscience s’étoffait. J’oscillais entre sommeil et éveil.
À travers la membrane opaque de ma bulle, le flou se précisa peu à peu.
Il y eut d’abord le passage des nuages, poussés par de douces brises de Chodoo, puis l’alternance des jours et des nuits. Les deux lunes, Olyne la rousse et Nooma la blanche, diffusèrent leur éclat et je devinai les contours de cocons identiques au mien.
Mes semblables, proches et pourtant inaccessibles. Nous découvrions la vie côte à côte, soudés dans le silence de nos premières années.
Puis vinrent les murmures. Des vagues d’émotions parcoururent le nénuphar de ponte et j’en perçus chaque bribe. Des mots, des pensées touchaient mon esprit et je m’ouvris aux autres. M’entendaient-ils comme je les entendais ? Je voulais le croire mais aucun ne répondait à mes appels mentaux. Alors, je me contentais d’écouter. De partager un ressenti commun.
Mon corps prit sa forme définitive : deux bras, deux jambes, les attributs qui feraient de moi un mâle… comme les contours au-dehors, tout se précisait. Je jouais avec mes mains, glissais contre la membrane de ma bulle pour sentir sa caresse sur ma peau. Quel frisson lorsque les deux bosses de mon dos la touchaient ! La base des excroissances d’où sortiraient mes ailes était d’une sensibilité extrême.
J’aurais pu rester là pour toujours, dans le bien-être et la douceur qui m’enveloppaient.
Cinq voix couvrirent les murmures de mes camarades. Les Pères Fondateurs.
Leurs paroles firent naître en moi des images et des sensations.
Tandis qu’ils nous expliquaient le cycle de la vie, notre éclosion en larveylin, notre croissance, la pousse de nos ailes qui feraient de nous des mudeylins puis l’extraction de nos articulations, dernière étape avant de devenir des fedeylins adultes, je n’écoutais que le timbre de leurs voix.
Aujourd’hui encore, les mêmes impressions remontent en moi. Même si je les associe à leurs visages, ces premiers contacts sensitifs ont figé ma façon de les percevoir.
Le timbre aigu de Litham le rendait juvénile par rapport aux quatre autres. Il portait la joie du premier jour du printemps. Un seul éclat de rire et il aurait fait éclore les bourgeons de la prairie aux fleurs. Sa voix emplie de promesses nous décrivit le village avec tant de précision que je visualisais déjà les gabdas rassemblées autour de la grande place.
Reyvil, solide, franc et bourru, nous inculqua des bases de connaissances historiques depuis l’ère de Taranys. Ses enseignements allaient droit au but. En l’écoutant, je sentais la rugosité d’un tronc sous mes doigts et l’odeur résineuse des pins de la forêt des Grands Arbres.
Tootlieth, lui, nous parla des dieux. De leur bonté, de notre devoir de reconnaissance envers eux. Chacun de ses mots portait l’éclatante chaleur du Dor. Parfois, dans certaines inflexions, la pâleur de Nooma tempérait ses propos enflammés.
Grahnius, doyen des cinq, nous apprit les castes et le destin qui nous lierait à elles ; la marque qui nous serait apposée avant notre éclosion et la nécessité d’accepter le futur, quel qu’il soit. Dans ses propos, j’entendais bruire les rameaux du Saule.
Enfin, Veralonh nous transmit les premiers rudiments d’alphabet. Pour longtemps encore, sa voix m’évoquera l’odeur d’un lumignon de cire dans une gabda. Chaude, douce, rassurante. Comme si nous allions tous survivre.
Sans voir leurs visages, je les connaissais déjà.
Respect.
Dévotion.
Confiance.
Nous étions prêts à les suivre aveuglément. Nos mères avaient pondu nos bulles, mais eux nous avaient fécondés et, bientôt, ils nous donneraient un destin. Je les aimais déjà, comme j’aimais les fleurs, les arbres, le Dor, le Saule…
Chaque jour, nos connaissances s’étoffaient. Les Pères diffusaient leur savoir dans nos esprits. Je sus bientôt nager, marcher et voler. Tout paraissait simple mais j’étais bien loin de la mise en pratique. Et je n’avais pas encore de destin.
Le passage des Pères au-dessus du nénuphar devint quotidien. Aussi, lorsqu’ils s’approchèrent au point de toucher nos bulles, aucune crainte ne nous traversa.
C’est leur silence qui m’impressionna le plus. Cette fois-ci, ils ne venaient pas nous instruire mais apposer les marques qui scelleraient nos destinées.
L’importance de l’instant me saisit et j’attendis mon tour, serein.
L’ombre d’un Fondateur se déploya au-dessus de moi. Une force douce se dégageait de lui. Je perçus sa paix intérieure et sa détermination. Il posa sa main sur ma bulle. À travers la membrane, je distinguais ses battements d’ailes réguliers. Le Père glissa ses doigts puis sa paume à l’intérieur sans briser l’enveloppe fibreuse. Je sentis sa concentration pour me trouver et je me rapprochai sans hésiter de sa main.
Je lovai mon visage au creux de l’immense paume de mon géniteur et frottai ma joue dans une douce caresse à celui qui me donnait un destin.
Joie.
Fierté.
Ses doigts cherchèrent mon oreille gauche, la soulevèrent et touchèrent l’os qui se trouvait là. Il retira sa main et je l’entendis murmurer « bon petit ».
Cette voix portait tant d’émotions que je ne la reconnus pas. Mes souvenirs l’associent à la danse d’un feu dans une grotte.
Chacun des trois mille petits fut touché de la main d’un Père et, une fois l’attribution des destins terminée, la diffusion des connaissances reprit.
J’eus beau me tendre vers les voix, je ne découvris pas lequel des cinq m’avait marqué. L’importance de l’information se dissipa : aucun fedeylin ne connaissait l’identité de son géniteur, ni celle du Père qui lui avait attribué un destin.
Accepter la vie. La mort. Accepter la douleur.
Accepter le destin. La marque.
Être fedeylin, c’est accepter.
Les croyances des miens m’imprégnèrent et je me liai au peuple convaincu de la bonne parole dispensée par les Pères. Après tout, n’étaient-ils pas nos sauveurs ?
Mon corps grandit et je me sentis à l’étroit dans ma bulle. Il m’était difficile de tourner sur moi-même et je ne pouvais plus déplier mes jambes. Je passais mon temps roulé en boule à suivre la lumière du Dor. Mes cheveux chatouillaient mon cou et mes oreilles. C’est ainsi que ma cinquième année de gestation s’acheva. Je restais pleinement conscient, loin des limbes de mes premiers mois. J’avais acquis les bases du savoir qui me permettraient de survivre à mon éclosion et d’atteindre le rivage, si tel était mon destin. Je coordonnais mes mouvements sans peine. La conscience de mes camarades se tendait. Nous étions prêts à éclore.
Les plus chanceux murmuraient déjà leur nom. Le mien m’échappait encore, impalpable bribe qui glissait dans ma conscience sans que je ne parvienne à la retenir.
Et le jour de l’éveil arriva enfin.
Il y eut un bruit de déchirement, puis une minuscule brèche dans les fibres de ma bulle. D’autres sons similaires me parvinrent en écho.
Mon appréhension se mêla à celle de mes semblables. Nous ne voulions pas quitter le cocon protecteur dans lequel nous avions grandi. Depuis cinq ans, la vie coulait au rythme des lunes et du Dor, et voilà que ce temps s’achevait.
La fissure s’agrandit et je vis le bleu du ciel pour la première fois. Un rai de lumière toucha mon visage. Mes angoisses s’estompèrent.
Le nénuphar ondula sous de nombreuses secousses. Certaines bulles roulèrent loin de leur emplacement. Le clapotis des vagues augmenta. Des cocons basculèrent et s’enfoncèrent dans la mare. Seules les gouttes qui heurtaient la surface de l’eau témoignaient de leur chute. Je ressentis la souffrance des larveylins emprisonnés qui se tordaient de douleur dans leur immersion.
Ils disparurent soudain de mes sens. Un grand vide silencieux remplaça leur présence.
La peur me paralysa. Était-ce cela la mort ?
Une force étrange poussa mon cocon. Dans un sursaut, je me tournai. Personne. Le mouvement s’amplifia et le ciel disparut. Je criai pour la première fois.
J’agitai les mains et les pieds, je me débattis de toutes mes forces mais l’enveloppe ne se brisa pas. Pire, elle ne bougeait plus : la brèche collait à la feuille de nénuphar.
Les silhouettes des autres larveylins passèrent près de moi. Elles s’assirent au bord du nénuphar et glissèrent dans l’eau pour rejoindre la berge à la nage. Cela semblait si facile.
Je refusais de finir enfermé. J’avais beau griffer et taper sur la membrane, rien ne se passait. J’étais bloqué.
Je roulai sur moi-même et essayai de donner une impulsion pour libérer la fissure. À plusieurs reprises, je heurtai la fine paroi de la tête, puis des talons, pour qu’elle bascule.
Une faible oscillation fit rouler mon cocon. Le ciel apparut… puis disparut de nouveau alors que je me trouvai entraîné jusqu’à l’eau.
« Cahyl ! »
C’était mon nom.
Je l’entendais pour la première fois.
Et la voix appartenait à ma mère.
Tout cela, bien qu’ancré en moi, se révéla à cet instant précis. Au moment où je touchai l’eau du Monde, ma mère me donna mon prénom. Je ressentis son amour et eu l’impression d’être auréolé de lumière.
En entendant son cri, je fus pris d’une force incroyable et je glissai mes mains dans la fissure où l’eau s’engouffrait. J’écartai les fibres protectrices et me laissai happer par la mare. L’eau d’un bleu sombre m’enveloppa et je pus enfin étendre les bras et les jambes. Je les agitai tant bien que mal sans réussir à me concentrer. La surface scintillait sous les rayons du Dor et mes efforts pour l’atteindre restèrent vains. Elle s’éloignait à mesure que le fond m’attirait. Je dérivai, les yeux ouverts, incapable de me rappeler comment nager. Mes doigts écartés s’enfoncèrent dans le liquide à la recherche d’une prise, une résistance pour prendre appui et remonter.
Un immense poisson blanc aux écailles luisantes passa devant moi. Je retins mon air. Dans la panique, je me débattis pour fuir le monstre qui nageait au milieu du chaos de notre éclosion. D’une bouchée, il goba les restes de ma bulle et s’en alla vers d’autres résidus de membranes qui coulaient à pic. Je n’eus aucun doute du danger qu’il représentait.
D’autres poissons se dirigèrent vers le nénuphar. Ils gobèrent des bulles encore pleines. Je battis des pieds pour remonter à la surface, sans grand succès. La tête me tournait et la peur désordonnait mes mouvements.
C’est alors qu’au milieu de mes gestes saccadés, je heurtai quelque chose de mou, plutôt gluant.
Mon corps pivota par réflexe et je fis face à une créature imposante. Deux yeux globuleux me fixaient.
Pas peur.
Son énorme tête aux reflets brun vert passa sous moi suivie d’une longue queue. J’y vis une réponse à ma détresse. Fatigué, je m’avachis sur ce crâne mou et m’agrippai aux replis de peau derrière les proéminences de ses yeux.
Il avança plus vite que je ne l’aurais cru. Mes dernières réserves d’air m’échappèrent et je me laissai porter par ses ondulations. Il remonta à la surface. L’eau cingla mon visage. La douleur qui m’enserrait la poitrine augmentait à chaque respiration. J’aspirai tant bien que mal des goulées d’air mêlées d’eau et luttai pour ne pas sombrer dans l’inconscience. Des taches blanches grossirent sous mes paupières. Mes jambes qui entraient et sortaient de l’eau éprouvèrent la brûlure de la surface. Seuls mes doigts crispés conservaient assez de force pour me maintenir.
Un choc nous stoppa net. Une épaisse couche de terre boueuse arrêta la course de l’être gluant.
Mes perceptions revinrent. Les taches blanches s’estompèrent lorsque je clignai des paupières. Je respirai avec difficulté.
Douleur.
« Aïe. Petit fait mal. »
Je lâchai mon sauveur. Mes doigts enfoncés dans sa peau laissèrent dix petites marques autour de ses yeux. D’un coup de queue, il me fit basculer dans la boue. J’eus à peine le temps de me dresser sur mes coudes avant qu’il ne retourne dans l’eau.
Je voulus lui dire d’attendre, de rester avec moi, mais il était trop tard. Il avait disparu.
4 commentaires:
C'est donc ça, les fameux Fedeylins dont on croise le nom sur CoCy ! Eh bien ce début est vraiment réussi, en tout cas il donne envie d'en savoir plus ^^
Chouette !
Merci Alazaïs ! (c'est une des raisons qui m'ont poussée à créer ce blog : pour que l'on connaisse mieux "les fameux" fedeylins !!)
Contente que tu ais mis ce lien dans la section en savoir plus, j'avais lu que le premier chapitre des "fameux" fedeylins se trouvait sur ton blog mais bizarement je l'avais pas trouvé..
en tout cas même si ce n'est pas la version définitive, la lecture me conforte dans l'idée qu'il faut absolument que je lise ce livre à sa sortie ^^
Merci beaucoup sur pour le commentaire de mon site : (http://laparoledusilence.e-monsite.com/) N'hésite pas à repasser !
J'ai lu l'extrait, merci beaucoup ! J'espère avoir l'occasion de le lire !
Bonne journée !
Freelfe
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